Culture
16 juin 2021
Culture
16 juin 2021
Le pôle artistique et culturel du Collège Angèle-Vannier a été créé sous l’impulsion du Conseil Départemental 35, compte tenu d’un passé du collège à dominante culturelle où, entre autres, les arts plastiques et la poésie émergeaient avec force. Il reçoit financements et aides protectrices de l’Education Nationale, de la Région, du Ministère de la Culture (DRAC, FRAC, Printemps des Poètes), de la Communauté des Communes, de la commune de Maen-Roch. Il s’adresse à toute la population et reste néanmoins adossé au Collège, via le projet d’établissement de ce dernier et de la volonté d’éducation populaire défendue par le pôle.
À noter qu’il est lié à la Ligue de l’enseignement 35 qui promeut les mêmes fondamentaux.
Parmi les nombreuses activités du pôle, on notera la mise sur pied de résidences d’écrivains avec Dominique Sampiero, Guy Allix, Yvon Le Men… Lors des « Printemps des poètes », nous accueillons des poètes de renom en promouvant des liaisons pédagogiques denses avec le collège et les écoles de la Communauté des Communes. Le réseau des médiathèques est un ferment non négligeable dans ces opérations. À ce titre parmi d’autres actions, Saint-Brice-en-Coglès (Maen-Roch) est devenu le premier village en poésie de France.
Cette veine poétique relayée par un fort volet arts plastiques avait, avant la création du pôle, connu des aiguillons incomparables : Angèle Vannier, Jean-Pierre Siméon, Jacques Villeglé, Bernard Pagès, Aurélie Nemours, André Fournelle (plasticien québécois)…
Je reviens sur les actions engendrées par la résidence de Dominique Sampiero. Enseignant, poète, écrivain dans de nombreuses veines, scénariste de Bertrand Tavernier, lors de sa résidence, il a été particulièrement prolixe.
S’appuyant sur contes et légendes du Coglais autour du thème de la pierre, sur le travail ancestral du granit, il a écrit poèmes, nouvelles et une pièce de théâtre, relayés par une jonction exceptionnelle avec les habitants et surtout les scolaires. Ces différentes créations ont été éditées par le pôle qui développe une ligne éditoriale, soutenue en particulier par la Région.
Passée sa résidence, nous avons continué à affermir nos relations avec ce poète. De façon concomitante, lors des flots migratoires, le pôle a participé avec un collectif à l’accueil de réfugiés en effectuant un volet d’alphabétisation.
Sensible à cette veine humaniste, D. Sampiero a écrit un long texte en prose, qu’il a soumis au pôle et qui a provoqué un débat au sein de son bureau. Certains ont regretté sa noirceur, d’autres sa vérité sans fard.
Il s’agissait au-delà de sa tonalité, de se positionner avec fermeté. Il nous fallait lutter contre le populisme ambiant, contre les idées reçues, contre les stéréotypes et dire haut et fort que nous étions toutes et tous des sangs mêlés. Il nous fallait aussi contrecarrer les idées nauséabondes véhiculées par le dit roman national. Il nous fallait de plus lutter contre les amalgames qui jouent sur le duo immigration/insécurité.
De fait, nous aurions pu opter pour un texte « militant » charpenté à l’instar des « tracts Gallimard » eux aussi, démonstratifs, étayés. Mais, nous maintenons la fibre poétique, de plus inhabituelle en prose. Nous avions déjà abordé la prose poétique avec Jean-Michel Maulpoix. Elle permet d’aborder l’essence poétique éloignée de la versification classique et surtout de dé-cantonner la poésie aux aspects traditionnels auxquels le lecteur pense : chants mièvres de la nature et des sentiments !
La poésie ainsi devient militante voire politique, mais en faisant participer le lecteur qui devient acteur. Je pense ainsi à René Char, Y. Bonnefoy, C. Vigée, B. Noël… qui, à des degrés divers, élèvent la poésie au niveau de l’universel et rejettent ainsi l’émotion engendrée par l’actualité.
La prose poétique de D. Sampiero devient intemporelle à l’instar de la philosophie (en rejetant d’ailleurs une éventuelle hiérarchie entre ces deux modes de pensée). Pensons à l’intemporanéité de « Liberté » de Paul Eluard ; ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres.
De fait, en choisissant le vecteur poétique, nous n’optons pas pour la facilité. Au fil des années, il y a imprégnation, rejets ou adhésions à certaines thématiques : apparente facilité de Jacques Roubaud, « lyrisme » de J.P. Siméon, « folie » toujours apparente, surréalisante de Vénus Khoury-Ghata, sobriété profonde de Pierre Dhainaut, quotidienneté toujours apparente de Yvon Le Men, jongleries espiègles de René de Obaldia, traque de l’infini grand chez Zéno Bianu, affres de la prison chez Abdellatif Laâbi… Je pourrais tresser bien d’autres facettes chez les poètes invités par le pôle. Nous offrons des pistes de lecture, d’écoutes multiples pour rendre nos adhérents, nos élèves acteurs, tolérants, citoyens ouverts aux cultures, déployant un esprit critique, sensibles à l’argumentation, prompts à l’écoute de l’autre ; en fait, tous les paramètres d’une éducation populaire de qualité.
Quant à ce que l’on appelle trop hâtivement l’illustration, je réfute ce terme. Il s’agit d’un accompagnement plastique, d’un dialogue et non pas d’une redondance pour forcer le texte. Si possible, il doit y avoir parité entre les deux formes d’expression. Plus précisément, les productions plastiques proviennent d’un élément inattendu, fortuit, dont je me suis emparé. Une sorte de « ready-made » consistant en une flaque de peinture jetée sur un bloc de pierre. Jet non organisé d’un artisan ! En quelles circonstances ? De cette macule de peinture enkystée sur la pierre, des formes humaines me sont apparues engluées dans la peinture gélifiée. Quels symboles ! J’ai effectué plusieurs séries en rehaussant ou pas ces humanoïdes saisis d’effroi, ici dans des tourments bleus. Ils ne soulignent rien de particulier. Ils impriment l’effroi, la mer qui sera un tombeau, ou le sauvetage salvateur. Un « radeau de la Méduse » à la fois antédiluvien, daté dans les temps anciens et évidemment contemporain. Les naufragés sont convulsés, dépassés par un ressac sans fin. Le « regardeur » sera envahi ou pas de stupeur, de terreur, de chagrin, non relayé j’espère, par la pitié.
Texte et accompagnement plastique appellent de notre part une prise de conscience. Réfugiés politiques, économiques, climatiques… ont un droit supérieur de sauvetage au-delà de l’entraide, mais d’un engagement de notre part, sous diverses formes. N’est-ce pas d’ailleurs écrit dans le marbre dans toutes les chartes internationales ? Je ne me réfugie pas dans un classicisme respirant ce qu’on appelait la beauté mais au contraire dans un cri de noirceur figé dans l’hébétude. Frères humains… à vous de penser … à vous de panser…
Il faut également souligner que Dominique Sampiero a réalisé, lui aussi, un ajout plastique qui met en relief, le déracinement de ces hommes, femmes et enfants qui perdent leurs repères linguistiques… ce qui est aussi un naufrage ! Dominique voulait pointer cet aspect, lui aussi non négligeable.
Pour finir sur des aspects plus engageants, le pôle – normalement – reprendra ses activités à la rentrée de septembre. Finaliser les cours du soir pour terminer un cycle inachevé sur la Russie – envisager un déplacement à Paris où la Russie sera le thème principal – accueil de la poète Katia Bouchoueva pour la future édition du « Printemps des Poètes » – suite de la résidence d’écrivain consacrée à la poésie Mongole – débats/conférences multiples – expositions – nombreuses éditions : Katia Bouchoueva, Pierre Dhainaut, Dominique Sampiero – créations musicales autour et avec la poésie – venue de Jean-Pierre Siméon avec retransmission de son Stabat Mater Furiosa (musique contemporaine et lectures de Sophie Marceau)… Vous comprendrez fort bien que compte tenu de la situation sanitaire actuelle, des réglages, des inflexions, des décisions souvent hâtives risquent de s’imposer.
N’oublions pas de finaliser notre dernière résidence d’artiste avec Nomindari, traductrice de poètes mongols. Son travail sera accompagné de dessins de Battulga et sera édité par Yves Prié chez « Folle Avoine ». À ce sujet, il est important de s’interroger sur l’universalisme qui reste ethnocentré sur l’Europe et le bouclier américain. À nous d’ensemencer un universalisme où les cultures se côtoient sans hiérarchie. Vaste programme !
Nous devrons également porter notre attention sur l’intergénérationnalité à conforter, à renouer fortement les liens avec l’équipe éducative du collège, avec les écoles, à motiver les adolescents… pour promouvoir une éducation populaire pour tous, sous le sceau de la laïcité. Avec cette rentrée atypique, il nous faudra reprendre contacts forts avec tous les décideurs, avec les élus suite aux échéances électorales. L’inauguration de l’ESCC (l’espace social culturel commun) à Maen-Roch sera l’occasion de redynamiser notre structure associative et de rencontres espérons-les fructueuses.
En une zone rurale, excentrée et fragile, il est primordial de développer une éducation populaire liée au monde scolaire. En effet, le public scolaire est un vivier porteur, sensibilisé par les disciplines souvent dites mineures, par le centre de documentation du Collège, par le réseau des médiathèques très performant. L’éducation artistique est motrice dans cette entreprise. L’éducation au regard, à l’écoute, à tous les sens relayée par l’argumentation qui conduit à développer le sens critique est un rempart contre les populismes non étayés qui conduisent à la négation de la démocratie, à la mise en cause de l’esprit des lumières, au refus de l’humanisme, bref à l’amoindrissement du « métier » de l’humain.
Comment échapper à ce ver lapidaire de Paul Eluard issu de la « Rose publique », cité par Julien Gracq in « Nœuds de vie », ouvrage posthume. Editions Corti, 2021.
C’est le privilège de la poésie. Des mots ciblés qui rejoignent l’essence de nos préoccupations.